Premier-né

Elle était si jeune et déjà mère. A peine sortie de l’âge fougueux de l’adolescence, elle a reçu la lourde responsabilité d’être parent. N’ayant pas encore pris conscience de ce bouleversement durant sa grossesse, c’est seulement lorsqu’elle a tenu pour la première fois cette petite boule de tendresse, le prolongement dodu de sa chaire que les larmes ont brouillé sa vue. Désormais, l’inquiétude permanente marque son visage. A-t-il assez mangé ? Sa digestion n’est-elle pas trop inconfortable ? Devrait-il dormir plus ? Est-il heureux ? Que regarde-t-il ? Que pense-t-il ? . . .

Cet amour absolu envers son fils, elle le porte au plus profond de son cœur et il transparaît sur le rouge pourpre de son chemisier. Son enfant illumine sa vie. Petit être étincelant dans ce décor intérieur bourgeois sombre, il irradie. Bien calé tout contre la poitrine de sa mère, sa main s’accrochant à son col tel un alpiniste gravant les cimes, il scrute de son regard encore indéterminé son environnement.

Elle arbore son garçon comme sa plus précieuse et rare parure, telle une avalanche de perles dévalant son cou.

Devant moi, elle présente son premier-né et son nouveau statut : « Moi, Hannah, 19 ans, mère, j’ai donné et nourri une vie. La voici. Et pour le restant de mes jours mon devoir est de rendre cette vie, la plus belle possible ». Aucune hésitation face à ma palette, je mets en lumière l’élément capital de ma composition. Une ligne verticale blanche éblouissante au premier plan vient éclairer une silhouette de jeune femme au centre. Fidèle métaphore du rôle essentiel du nourrisson et de son arrivée bouleversante en cette demeure.

Texte de Deborah S., écrit lors de l’atelier « Rond et rond petit patapon », au Musée d’Art et d’Histoire de Genève, le 4 octobre 2020.

Oeuvre : Wilehlm Balmer (Bâle, 1865-Rörswil, 1922), Le Premier-né, 1894, huile sur toile.