Lorsqu’on entre dans le Lausanne Palace, après une longue journée de travail (masquée), même s’il y a du plexiglas à profusion, et que le masque est ici aussi de rigueur, il se produit une sorte d’enchantement face à la beauté du lieu.

On prend place sur des chaises confortables, en nombre limité, espacées les unes des autres.

Arrivent les deux auteures et le journaliste qui va les interviewer au sujet de leurs derniers livres, sortis il y a peu. La magie opère immédiatement.

Très vite, on oublie toutes les mesures sanitaires et on découvre des avantages (si, si), à la situation actuelle. Moins de spectateurs signifie une meilleure vision de la scène et plus de temps pour échanger ensuite, lors du moment des dédicaces…

Une excellente idée que celle de réunir ces deux dames. Si leurs ouvrages paraissent très différents quant à leurs contenus et à leurs styles d’écriture, elles ont entre autres en commun des origines plurielles et une jeunesse passée dans divers pays très différents les uns des autres. Il existe aussi des convergences sur le plan professionnel…

Elisa Shua Dusapin est de nationalité française et suisse. Sa maman est sud-coréenne. Elle a grandi à Paris, Zurich puis Porrentruy. Elle est née en 1992.

Ses trois livres parus aux Editions Zoé, Hiver à Sokcho (2016), Les billes du Pachinko (2018) et Vladivostok Circus (2020), développent des thématiques récurrentes. Le mélange des cultures,  l’identité, le rapport au langage et la difficulté à communiquer.De nombreux prix littéraires sont déjà venus récompenser la jeune et talentueuse écrivaine. L’auteure travaille également pour le théâtre, dans divers rôles en lien (metteuse en scène, actrice, etc…).

C’est lors d’un voyage en Asie qui la mène en Russie qu’Elisa Shua Dusapin découvre la barre russe. Elle est fascinée par ce numéro qui requiert une confiance totale entre les deux acrobates porteurs de la barre et la jeune fille qu’ils doivent projeter dans les airs…

L’écrivaine nous explique qu’elle avait un peu un regard plein de clichés sur le cirque avant de se lancer dans son projet d’écriture. Elle se documente très sérieusement. Elle passe aussi beaucoup de temps avec les acrobates, de manière à ce que ses cinq sens soient sollicités. Elle explique qu’elle a besoin de ce passage obligé par le corps, avant de pouvoir envisager l’écriture.

Durant la période d’écriture, Elisa Shua Dusapin est confrontée à la maladie puis à la fin de vie de son chat. Elle prend soin de l’animal et se questionne par rapport à son lien à celui-ci. Ce dernier met en effet toute sa confiance envers elle. Cette situation va lui offrir des pistes de réflexion par rapport aux liens entre les personnages de son roman. L’écrivaine nous dévoile que la narratrice de son roman, Nathalie, n’est pas une acrobate, mais la costumière. Le rôle de la costumière est primordial dans le contexte du cirque, car le vêtement se doit d’être comme une seconde peau pour celui ou celle qui le porte. En faisant le choix d’une narratrice un peu distante du numéro en soit, l’auteure met en avant dans son roman la difficulté à communiquer de son héroïne…

Karine Silla est née en 1965 à Dakar. Son papa est sénégalais et sa maman bretonne. La famille déménage souvent (Canada, Tchad, Gabon, entre autres…), au gré des affectations du père qui est diplomate des Nations Unies.

Une blessure au genou à l’adolescence la contraint à renoncer à son rêve de devenir danseuse. Elle se tourne vers le mannequinat à New-York, puis le métier d’actrice à Paris. Plus tard, elle devient scénariste et réalisatrice. Elle est l’épouse de l’acteur Vincent Perez et la maman de quatre enfants.

Karine Silla se lance dans l’écriture d’un premier roman Monsieur est mort, publié en 2014 aux Editions Plon. Chez Plon également, Autour du soleil (2016), puis L’absente de Noël aux Editions de l’Observatoire (2017). Chez le même éditeur, Aline et les hommes (2020) est donc son quatrième roman.

 Aline Sitoé Diatta est née en 1920 dans le sud du Sénégal. Adolescente, elle devient gouvernante dans une famille de colons. Des voix lui ordonnent alors de rentrer chez elle pour libérer son peuple. Elle devient une icône de la résistance contre le colonialisme et est sacrée reine. Elle menace alors l’administration française et devient « l’ennemie à abattre ».

Karine Silla se lance dans un roman biographique suite à un souvenir d’enfance. Son père lui avait raconté l’histoire de cette femme courageuse. L’écriture lui prend trois ans, demande un gros travail de recherches et se révèle une plongée au cœur de ses propres origines. Elle est née cinq ans après l’indépendance de son pays, d’une mère bretonne catholique et d’un père sénégalais musulman. C’est pour l’auteure la source d’un long travail de réflexion sur le métissage des peuples, le colonialisme, etc… Elle s’interroge aussi beaucoup sur la période actuelle, les problèmes identitaires des jeunes des banlieues en France, les attentats, le fait que le colonialisme perdure de nos jours. Karine Silla, dont le grand-papa était directeur d’école a grandi dans un milieu intellectuel où toutes ces questions étaient débattues durant son enfance.

Pour cette écrivaine, l’écriture et les mots sont le mode d’expression primordial. Elle a toujours beaucoup lu et ce, depuis sa toute petite enfance. Elle estime que l’école française actuelle est responsable de l’ignorance des personnes de notre époque par rapport au colonialisme. Le devoir de mémoire sur cet épineux problème n’a pas été fait, or le plus grand danger de l’homme est l’ignorance. Il faut lutter contre cela en alphabétisant, en enseignant. L’auteure encense les professeurs de français, d’histoire, de littérature, lorsque ces derniers sont « des conteurs »… Ce sont de ceux-là qu’elle a le plus appris… Pour Karine Silla, la période d’écriture de ce roman s’est nourrie du contexte actuel et vice versa…

Comme je me réjouis de dévorer ces romans !

Un immense merci à Mesdames Elisa Shua Dusapin et Karine Silla pour leur générosité, leur gentillesse et leurs sourires lumineux lors de l’interview, comme de la séance de dédicaces. Merci également aux organisateurs de cet événement.

Francine