Poursuivre par un texte libre la phrase de Lu Yu, maître du thé sous la dynastie Tang (618-907)

On boit le thé pour oublier le bruit du monde

‘On boit le thé pour oublier le bruit du monde’ m’a gentiment dit le serveur en déposant devant moi une élégante théière ronde, joufflue, qui devait être lourde comme je m’en rendis compte en me servant. Oublier ? Oui, mais quoi, quels bruits, quel monde ? je m’étais posé la question et la réponse vint, étonnante : c’est le bruit du thé que je versai dans ma tasse que je ne pus oublier.

Comme s’il avait remplacé, dominé les autres bruits… du monde, les miens, intérieurs, ceux de ce jour, ceux d’hier et ceux de demain ? Je continuai à verser mon thé et le bruit devint assourdissant, ruisseau, pluie, éclaboussures, chute, cataracte.

Je restai interdit : ce bruit était le bruit de tout, le bruit de la soif du chien qui lape dans son écuelle, fatigué d’avoir trop couru, celui de la soif de l’enfant qui a tant joué, celui de l’océan qui se retire sur le sable qui le boit, insatiable, celui de mon ventre, celui du monde qui court sans savoir où.

Je relevai la tête, le serveur était toujours là. Il me regardait. Je lui souris : « Faut-il oublier ? » dis-je.  « Le monde, non, mais son bruit oui ! On peut l’écouter autrement » me répondit-il et, prenant la théière de ma main, il finit de verser le thé.

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 Je suis un artisan et je dois réaliser une théière pour… (personnage tiré au sort)

A ma tante.

Chère tante, j’ai choisi cette théière en porcelaine de Nyon, ou Meissen peu importe, parce qu’elle me rappelle la distinction qui fut toujours la tienne. Oh parfois elle était pesante – la distinction, pas la théière – mais elle participait d’une culture familiale un peu…, mais quelle classe ! Car aux goûters-anniversaires et Noëls auxquels tu invitais enfants, nièces et neveux, nous étions neuf, tu sortais le grand jeu ! Le grand service à thé avec théière, tasses et sous-tasses, cuillères, sucrier et son couvercle avec sa pince à sucre, pot à lait, petites assiettes, petites fourchettes et petits couteaux pour les gâteaux…

Depuis longtemps, chère tante, tu bois le thé au paradis. Qu’est devenu ce service ? Dispersé, transmis, cassé, perdu, vendu ? Au fond peu importe. Le soin dont tu l’entourais, au risque de nous agacer un peu, était ta manière à toi de nous montrer l’estime dans laquelle tu nous tenais. Sois-en remerciée !

 

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 Écrire un vrai ou un faux souvenir en lien avec: un service à thé/une théière/un moment marquant en lien avec le thé/le souvenir d’un thé particulier

Le thé après le jardin

C’était un samedi d’automne. Depuis le matin il bruinait, soleil pâle, vent aigre. Je savais que, cet après-midi ce serait « le jardin » : ramasser les feuilles mortes, ratisser, faire des tas, remplir de grands sacs de jute et, les mains plongées dans le mouillé, tasser les feuilles et les emporter soit au compost soit sur l’emplacement déjà prévu du feu. Il faisait froid, humide, mais quelle douceur dans cet arrière-automne. Le bruit des feuilles, le parfum d’une nature en train de se préparer à son hiver, l’odeur de feu et de mouillé, les cris d’alarme des merles ou des mésanges.

Alors, fatigués, pas encore complètement transis, nous attendions l’appel de notre mère : « Le thé est prêt ! » Et nous rentrions, et c’était la chaleur de la salle à manger et l’odeur du thé fumé  un Lapsang Souchong toujours – et, regardant à travers les grandes baies vitrées du salon, le plaisir de voir les dernières volutes du feu dans le jardin s’endormant pour quelques mois et de sentir la chaleur de la tasse entre mes doigts engourdis.

 

Textes de Daniel Neeser, Meyrin