Célestes feuillets

Le corps fatigué d’Emma repose sur son grand lit.

La journée a été longue, la jeune femme, étudiante, travaille tous les soirs dans une station service pour financer ses études. Elle se tourne sur le côté, passe sa main sur son front et son visage. Plus bas, ses doigts perçoivent un tout petit renflement étrange, sur le lobe de son oreille droite. Emma n’a pas le courage de rallumer la lampe de chevet, de se lever et d’aller voir de quoi il s’agit dans le miroir de la salle de bain. Elle sombre rapidement dans un profond sommeil dépourvu de songes.

Emma, depuis que sa vie ne lui laisse plus beaucoup de temps libre ne se souvient jamais de ses rêves nocturnes. Elle le déplore ! Enfant et jeune adolescente, son imagination fertile se plaisait à poursuivre les bribes d’histoires farfelues issues de ces moments particuliers et inconscients où l’âme s’abandonne à elle-même.

Le matin, elle se ruait alors sur son journal intime et écrivait des récits merveilleux inspirés par ses rêves même lorsqu’il s’agissait de cauchemars…

Depuis qu’elle étudie la médecine et travaille la plupart du reste du temps, la poésie et le fantastique ont peu à peu déserté son quotidien, ce qui la rend très mélancolique parfois.

Le lendemain, à son réveil, une fois de plus, la jeune femme n’a aucun souvenir de ses rêves de la nuit qui s’achève. Elle se redresse dans son lit et sent une sorte de piccotement vers son oreille droite. Elle essaie du bout des doigts de caresser le renflement sur son lobe d’oreille, mais ce dernier semble s’être entièrement résorbé durant la nuit.

Emma allume sa lampe de chevet et à sa grande surprise, constate que son lit est désormais entièrement recouvert de « post-it » ! Ces derniers sont de couleurs et de formats variés.

Elle les parcourt du regard, il y en a des carrés, des rectangulaires et certains en forme de flèches ou de cœurs. Voyons, plus de cinq cents, mille et peut-être même davantage ! C’est insensé ! Tous sont recouverts de mots écrits à la main, à l’encre noire. L’écriture est la même sur chacun des morceaux de papier. Elle est ronde, bien tracée, régulière, un peu penchée… C’est un peu comme si un dictionnaire, ou une encyclopédie se serait entièrement… répandue sur sa couette !

À y regarder de plus près, il ne s’agit pas du contenu d’un dictionnaire, mais plutôt de celui… d’un roman, un récit de vie ou une fiction, impossible de savoir exactement.

La jeune femme réunit tous les « post-it » en plusieurs tas, qu’elle pose sur son bureau.

Munie d’un stylo, elle numérote fébrilement les petits feuillets selon un ordre qui s’impose à elle tout naturellement. C’est comme si une force placée au-dessus de sa tête lui dictait comment organiser les mots afin de constituer un texte qui ait du sens.

À la fin de la matinée, le dernier « post-it » a été numéroté. Il y en a plusieurs milliers en tout ! La jeune femme tape à l’ordinateur le texte ainsi obtenu.

Il s’agit d’une sorte de petit roman initiatique qui traite avec beaucoup de délicatesse et de légèreté de paix dans le monde, d’amour au sens large et de fraternité.

Emma l’envoie le jour-même à une grande maison d’éditions.

Il deviendra un best-seller mondial qui la mettra à jamais à l’abri du besoin et apportera beaucoup de réconfort et d’espoir à des millions de personnes en cette période où les actes terroristes répandent le sang et les larmes à travers le monde.

 

Francine Howald, texte écrit à l’atelier L’éventail des mots, le 17 février 2016.