Je m’appelle Adelheid, mais on a toujours dit Lidi.
Je suis née il y a huitante-trois ans, en 1807, à Thörigen, un petit village du canton de Berne.
Dans la famille, on n’a jamais beaucoup quitté ce village. Oh, parfois on prend la charrette et on va dans différents endroits de la vallée, mais jamais beaucoup plus loin. Il faut dire que quand on était jeunes, on n’avait pas les moyens, et maintenant, on se fait vieux.
J’ai épousé Friedly quand j’avais seize ans. Lui en avait dix-huit. Les parents étaient d’accord, pis on se connaissait depuis toujours. On a été heureux, tout simplement. Quatre gamins, tous bosseurs. Le Hans qui a repris la ferme, Norbert, qui a épousé une brave fille d’une autre vallée. Lidya, elle, elle est morte en couches, ça fait déjà plus de vingt-cinq ans. Ma foi c’était ainsi en ce temps-là… Et le plus jeune Friedrich. Lui, il est parti tout jeune voir le monde. Il vit au Brésil, un grand pays dont personne n’avait trop entendu parler par-ici. Il écrit de temps en temps. Il a une famille, un beau domaine. Il a bien réussi. Une fois, il est revenu, c’était il y a dix ans. On ne connaît pas sa femme ni ses deux gosses, ça, ça me fait un peu de la peine.
Ben voilà, on est venu nous chercher pour nous photographier. Ils ont tout payé, le voyage jusqu’à Thoune, la nuit à l’hôtel, trois bons repas. C’est Friedly qui m’a convaincue… moi, je ne comprenais pas trop… On avait déjà vu des photographies, mais on se trouvait bien trop vieux pour ça. Finalement, on se trouve plutôt beaux ainsi parés. Parce que voyez-vous, nous ici, on ne s’habille jamais si bien… Oh, on a des beaux habits oui, pour les fêtes, les dimanches, mais ils ne sont pas si chers que ceux-là.
Ah, si on m’avait dit quand j’étais gamine, qu’on me tirerait un jour le portrait ! ça m’aurait fait bien rigoler !
C’est pour mettre dans des livres, ils ont dit.
On est fiers d’avoir été choisis. Comme il est encore fort et beau mon Friedly ! Il a toujours ses belles mains soignées et son regard vif. C’est merveilleux.
Francine